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Hiver maudit // L'hiver arrive, je m'éteins. Nous y voilà. Plutôt mourir que de m'y résoudre et pourtant..J'ai les os gelés, le nez rouge (et vu l'amplitude de ce dernier je peux vous assurer qu'on ne voit plus que lui j'en suis ravie), les doigts engourdis et la motivation en rétrograde. Je me réfugie sous l'eau brûlante si longtemps, et si chaude l'eau, que j'en ai la peau écarlate. Je vais faire sauter mon livret A en facture EDF, tant pis. Il n'y a que ça qui fonctionne et ce n'est pas la Russie qui va me faire changer d'avis. Pour lutter contre ce froid qui me résume, j'ai investi pas plus tard qu'hier dans des chaussons d'une laideur accablante. J'ai rarement été si heureuse d'acheter un truc moche. Last but not least, mes capacités intellectuelles ainsi que ma concentration sont réduites à néant lorsque j'ai froid et j'ai ainsi tendance à me perdre dans les méandres d'internet avec une facilité déconcertante. Et donc c'est en lisant un article très intéressant sur le site baleinesendirect.org (ne me demandez pas comment j'ai fait pour atterrir là dessus) que j'ai appris non sans surprise que pour ne pas crever de froid les bélugas développaient une couche de gras représentant 40 à 50% de leur poids total. C'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde ou dans l’œil d’une aveugle, enfin bref.

Le poids des morts // Mes arrière-grands-parents, Léon et Ernestine ont été assassinés. Ça surprend hein ?Auschwitz.« Ah…! ça…! » Ça surprend moins tout d’un coup. C’est moins tonitruant. Moins exceptionnel. C’est vrai que 2 personnes sur 6 millions ça devient banal quand on y pense. On est loin de l’assassinat de faits divers, du coup d’éclat, du petit meurtre original. "Faudrait pas en faire toute une histoire" qu'on penserait presque. Mais à échelle individuelle ces morts prennent de l’amplitude, croyez-moi. Traumatisé par la perte de ses parents mon grand-père a rejeté la religion de sa vie, mais aussi sa langue et son prénom. De Dieu chez lui il n'était pas question. Et quand j'y pense c'est toute une identité qui nous a été enlevée. On a détruit les Hommes mais combien sont les survivants ayant enterré leur propre identité, leurs rites et leur culture à défaut d'avoir pu inhumer leurs morts. C'est une élimination à retardement. De ce fait le judaïsme ne fait pas partie de ma vie ni de celle de ma famille. Je suis profondément athée (dit-elle comme pour se justifier. Elle aurait tout aussi bien pu dire "Rassurez-vous ! Je ne suis pas juive !". A ce titre je me souviens qu'un jour j'avais trouvé dans la boîte à bijoux de ma mère un pendentif en forme d'étoile de David. Je devais avoir 13 ans. J'étais à l'époque extrêmement fière d'avoir des ancêtres juifs, comme si le fait d'appartenir à une communauté allait m'élever au-dessus de ma condition. Je trouvais que ça faisait classe. Ça me rendait un peu moins normale et plus exceptionnelle, plus remarquable aussi. “Regardez j'ai acheté les même Buffalos que Geri Halliwell” versus “Regardez je suis juive”. J'ai sorti la chaine et l'ai mise à mon cou. Lorsque ma mère s'en est aperçu elle m'a demandé de la retirer. “Tu pourrais t'attirer des ennuis”. Fin de l'histoire, la peur se transmettait donc de génération en génération, on refourguait cette culture au fond du placard. Qu'on en parle plus et fermeture de la parenthèse la plus longue de l'histoire.).L'extermination qui a touché ma famille, comme celle de nombreux autres, est un non-sujet. On en sait trop peu alors on ne dit pas grand chose. Surtout on ne s'apitoie pas. Helmuth-Henri-Pépé est parti avec ses tragédies bien serrées autour de son petit cœur d'enfant de 67 ans. De sa vie d'avant il ne disait quasiment rien. Je ne sais pas si les terres de Kolomiya manquaient à Ernestine lorsqu'elle arpentait les artères bruyantes de Vienne ou si Léon appréciait boire un verre de Slivovitz une fois son repas terminé et les enfants couchés. Nous, ceux d'après, les enfants et petits-enfants nous nous sommes accommodés de cette histoire faite d'absences et de silences, nos origines sont comme une vieille couverture trouée, traversée par les courants d'air. Certains ont tenté d'en apprendre davantage mais face au vide où chercher ? Alors moi depuis toujours j'ai tissé avec le peu que j'avais. Je leur ai imaginé une vie. Chaque rarissime anecdote cent fois répétée, usée jusqu'à la trame, est devenue le fantôme d'elle-même. On ne sait plus ce qui est vrai ou faux mais qu'importe car nous avons si peu à nous raconter. Et puis j'ai lu ce livre, La Carte Postale d'Anne Berest. Après avoir terminé ma lecture au beau milieu de la nuit la tristesse est venue me cogner à poings fermés. Cette douleur fulgurante a ravivé en moi une soif de comprendre et de combler les vides. Je me suis levée, aussi légère que possible pour ne pas faire hurler mon parquet (certains grincent, le mien hurle. Si tu marches chez moi pendant que je te parle tu n'entendras que les CRROUIIIC CRAC de tes pas et on se retrouvera comme deux petits vieux d'EHPAD à ponctuer nos conversations de “TU DIS QUOI ???” “REPETE J'AI PAS BIEN ENTENDUUU”. Alors imagine quand il est 3h du matin et que ton enfant dort. Bref je m'égare, revenons-en à nos moutons on n'est pas là pour parler plancher) et je me suis glissée dans le lit de Marcus en catimini. J'ai serré ce petit corps endormi contre moi et enfouis mon visage dans sa nuque chaude et douce. A ce moment précis j'aurais souhaité me dissoudre dans cette odeur de draps propres et de bave séchée, que la douceur de mon fils m'engloutisse pour toujours. J'ai pensé à Ernestine qui n'a jamais eu la chance de voir grandir ses enfants, j'ai pensé à ces femmes devenues folles de tristesse après qu'on leur ait arraché leurs enfants des bras, j'ai pensé à ces gamins livrés à eux-mêmes au milieu du chaos et au bout d'un long moment je me suis endormie. Le lendemain mes recherches commençaient. Avec frénésie, en quasi-apnée, sans détourner le regard une seule seconde de mon écran, à en oublier de boire et de manger. Je voulais comprendre. Où avaient-ils vécu ? A quoi ressemblait leur vie avant la fuite ? Où l'exil les avait-il menés ? Comment et par la faute de qui s'étaient-ils retrouvés enfermés dans ce train maudit ? A qui mon grand-père devait-il sa survie ? Et soudain